Le bazar du mois de Février 2025

Il y en a des choses à savoir en agriculture, et il faut bien plus qu'un BAC +5.

La ferme de la Houle
7 min ⋅ 16/03/2025

De BAC+5 à ouvrier agricole, il y a plusieurs pas… voire sauts, dans le vide, sans parachute

Commençons par ma petite introduction qui reflète un moment de vie simple. J’ai demandé à un ami fidèle de me faire un retour sur ma dernière lettre et j’ai trouvé assez marrant son retour car il reflétait absolument mon état d’esprit. Ce qui signifie que j’écris avec mes émotions du moment, et ça, ça me plaît.

Il m’a confié que ma lettre avait une forte empreinte de désespoir, autant dire qu’il visait extrêmement juste. Ce n’était absolument pas voulu mais face aux enjeux professionnels et personnels de ma reconversion, c’est un questionnement permanent. Je dirais même un bourdonnement permanent. Voici un extrait sans censure de mon cerveau :

Je ne gagnerai jamais ma vie avec ce métier.
Mais il y a trop de contraintes, ce n’est pas possible, il faut justifier de tout sur tout !
Tout cela pour vendre le kilo d’oignons à 3 euros ? C’est n’importe quoi.
J’y connais rien en légumes, pourquoi je me suis mis là-dedans.
Comment vais-je m’organiser pour préserver mon temps de famille/ami ? C’est impossible !

Je sais que parfois mon ton peut sembler pessimiste mais au regard de l’expérience empirique, cela reflète simplement la triste vérité. Bon, passons du champs lexical un peu morose à celui de la joie, mon ami Alex en sera plus heureux !

I. Les matières organiques : vous vous régalez de fumier de cheval (après nitrification & cie) !

C’est le cœur de notre métier en tant qu’agriculteur, c’est aussi le cœur de l’humanité, sans vouloir en faire trop. Les forêts sont des systèmes autonomes grâce à leur sol fertile, ne vous êtes vous jamais demandé comment nous pouvions avoir de si beaux et grands arbres sans leur apporter quelconque amendement ou engrais ?

L’agriculture, c’est une sorte d’artificialisation, c’est-à-dire que l’on va “dompter” un sol, il ne sera pas dans son état naturel - si c’était le cas, on y trouverait, une friche puis une forêt. Lorsque que l’on travaille un sol et qu’on y plante des légumes, puis qu’on exporte ces légumes, il nous faut impérativement redonner ce que l’on a pris au sol.

Vous pouvez imaginer le sol comme un frigo géant ! Plus vous vous servez, moins le frigo est rempli et plus vous devez évidemment allez faire des courses. Par contre, il ne faut pas mettre n’importe quoi dans le frigo. J’imagine que votre frigo n’est pas simplement rempli de cidre, de galette et de beurre salé (mon rêve) mais vous y trouvez aussi des légumes, des fruits, du fromage, toutes sortes d’apports pour avoir un microbiote en pleine forme ! C’est pareil pour le sol !

Le frigo agricole - le sol - on doit aussi le remplir pour qu’il soit en bonne santé ! Et pour cela, l’idée est de s’approvisionner en matières organiques pour nourrir le sol, comme par exemple : du fumier de cheval, de la paille, de la sciure de bois, du compost.

L’objectif est de jongler entre des apports d’amendement organique - qui nourrit le sol en se décomposant lentement, j’améliore la structure de mon sol, c’est une vision long terme - et fertilisant organique - qui nourrit la plante et l’activité biologique, c’est une vision court terme pour apporter des nutriments. Les 2 vont de pair. L’idée par exemple est de combiner 2 apports comme un broyat de déchets vert et de la tonte de pelouse. La pelouse va se dégrader très vite contrairement au broyat.

Selon vous, les urines, un amendement ou un fertilisant ? C’est un fertilisant ! Mais attention, l’urine est concentré en azote et comme tout excès, ce n’est pas bon pour les plantes, cela vaut pour tous apports de matières organiques. Tout comme pour la nourriture, trop de beurre salé n’est pas bon pour la santé 🤤.

Arrêt sur histoire : l’habitant, le paysan et le compost

Je vais m’arrêter rapidement sur mon approvisionnement en compost car je n’ai pas pu le mettre sur ma parcelle pour mes futures carottes. J’aime vous conter les histoires banales qui m’arrivent, elles sont fortuites mais tellement représentatives des difficultés que l’on peut rencontrer dans le métier, quand ce n’est pas une météo capricieuse.

Fort de mes formations et après avoir mis le compost sur un piédestal, la matière organique par excellence pour le maraîcher, je suis allé m’approvisionner d’une tonne de compost. En arrivant sur ma parcelle, une personne m’interpelle me demandant la provenance du compost. S’ensuit une discussion assez longue et difficilement audible pour en venir a une conclusion qui me surprend : ce compost serait truffé de produits chimiques et de métaux lourds provenant de Chine. Je suis bouche bée. Je ne savais pas que je travaillais avec la Chine, je vais peut-être faire pousser des choux chinois alors. Trêve de plaisanterie.

J’avais en ma possession l’analyse en laboratoire du compost avec les éléments clefs dont une partie sur les métaux lourds. Il y a bien la présence de métaux lourds dans le compost, je partage mon document avec la personne en question. Bien entendu, cela ne veut rien dire quand on ne connaît pas les ordres de grandeurs car on en trouve naturellement… Tout est une question d’ordre de grandeur, cette notion est fondamentale.

Les taux de métaux lourds sont tous inférieurs à la norme, maintenant, sont-ils aux normes pour l’agriculture biologique ? Je me suis fourni sur une plateforme de déchets verts dont le gérant m’a validé oralement que c’était utilisable en agriculture biologique. J’ai par la suite demandé à mon certificateur qui m’a confié qu’il n’y a normalement pas de problèmes (car on parle de compost, soit des déchets verts compostés…). Heureusement que j’en avais pas commandé 40 tonnes (besoin annuel pour 1 hectare cultivé). Je décide tout de même de repartir avec mon compost car j’apprécie cet habitant.

Que vous inspire cette situation ?

Je ne vous demande pas de prendre parti pour l’un ou pour l’autre mais simplement d’analyser la situation et d’en profiter pour se poser deux questions :

  • Pourquoi trouve-t-on des métaux lourds dans du compost ? Vous avez 2 heures !

  • Qui est responsable de la présence de métaux lourds dans le compost de déchet vert ? Vous avez une décennie.

II. Quel diplôme pour demain ?

C’est bon, vous commencez à vous prendre passion pour l’agriculture, le vivant, l’environnement ? Vous vous demandez dans quelles études vous lancer ou vers quelles voies orienter vos petits-enfants ? Une chose est sûre les sciences de la Vie et de la Terre seront de tout temps utile, pour les siècles et les siècles à venir. J’avais eu 19/20 à mon exposé sur les volcans quand j’étais en CM2, j’aurais du m’en rappeler.

Les sciences de la Vie et de la Terre

J’ai récemment terminé ma formation en Maraîchage Sol Vivant. Je ne vous cache pas que parfois je me demande véritablement pourquoi nous n’apprenons pas plus consciencieusement les bases des SVT. Il suffit pourtant de juste bien comprendre la photosynthèse et vous finirez normalement nu dans les bois à faire des câlins aux arbres. Nan mais sans déconner, la photosynthèse, la base de notre vie, de notre existence !

Photosynthèse

Et paf, on respire. Là, tu respires.

Je pense que l’on a parfois un peu beaucoup trop mis de côté les éléments de base de la vie que sont l’air, l’eau et la nourriture. C’est le triptyque qui nous permet de marcher, courir, penser, parler, rire, pleurer et manger bon Diou !

Arrêt sur souvenir : la pyramide de Coluche

Je m’étais prêté pendant le COVID a classifier l’importance de mon métier - Marketing Manager - dans une pyramide que j’avais nommé la pyramide de Coluche (je ne sais pas pourquoi). Je souhaitais savoir où je me situais. Le verdict fut simple : j’étais un confiné. Ce fut une vraie remise en question ; alors même que des travailleurs se labouraient de travail jour et nuit, dans les hôpitaux, les services publics, et dans les champs, et ailleurs, j’étais confiné en télétravail.

L’idée était de comprendre le sens de mon métier d’un point de vue anthropologique. Alors, c’est mon analyse personnel, mais force est de constater que mon métier n’était pas d’une utilité formidable. Attention, je ne dis pas que l’on doit tous être médecin, agriculteur, je mettais juste ma pensée d’un instant t sur le papier.

Revenons à nos moutons !

Après les sciences vient l’économie - dans cet ordre, c’est toujours mieux

100.000 € de CA sur 4600 m2 pour une ferme maraîchère 🧐

J’étais en formation Maraîchage Sol Vivant où l’on parlait énormément d’intensification de la photosynthèse. C’est une pratique qui a quelques années déjà et qui a pour objectif de développer un système maraîcher sur petite surface grâce à une stratégie d’auto-fertilité des sols (et bien plus encore). En gros : faire en sorte d’agrader (améliorer) un sol pour maximiser les rendements au mètre carré tout en respectant les différents cycles naturels et surtout, le sol. Plus concrètement, l’objectif est d’augmenter le taux de matière organiques dans le sol - un peu comme un sol forestier pour faire simple.

Pendant cette formation, nous avons eu la chance d’avoir des témoignages de chefs d’exploitation dont celle des Jardins du Wiedenthal sur 4600 m2 (version 2023, j’ai eu la version 2025) dont je vous ai mis une photo aérienne de l’exploitation avant installation :

Alors, il faut faire preuve d’ouverture d’esprit car les témoignages ont de quoi bouleverser les adages de l’agriculture contemporaine. Je tiens à préciser : la réussite d’une exploitation agricole est multi-factorielle. Il est important d’avoir tous les détails d’une ferme pour comprendre son système dans l’ensemble.

100.000 euros de chiffres d’affaires sur 4600 m2, vous y croyez ? C’est pourtant ce que peut réaliser une ferme maraîchère en maraîchage sol vivant. La valeur de 100.000 € n’est pas intéressante mais c’est le volume de marchandise que cela représente sans omettre l’achat/revente. En effet, pour compléter la gamme de produits, certains maraîchers achètent des légumes aux légumiers qui sont techniquement et économiquement imbattables ; comme le poireau ou le chou dans le pays de Saint-Malo ! Ce qui permet aussi de présenter une étale complète de légumes au marché. Dans son cas, par exemple, en 2021, 45% de son CA est de l’achat/revente.

Voyons un peu de plus près ses résultats économiques (oui, tout est disponible en ligne) :

Pour avoir l’explication, c’est à partir de ce moment-là

Comme je vous le disais précédemment, le contexte peut y jouer pour beaucoup - une autre ferme en MSV peut réaliser 75000 € de CA sur 2 hectares (20000 mètres carrés). C’est 4 fois plus de terres pour 25% de moins de CA.

Le chiffre d’affaires est un chiffre vaniteux, il n’est absolument pas interprétable en l’état. L’idée, c’est avant tout de dire, qu’une personne, ici, en France, avec son système, qui est tout à fait unique, réussi à vivre de son métier sur 4600 m2. Je rapporte un fait, unique certes, mais c’est un fait. C’est-à-dire qu’il se dégage un revenu supérieur à un SMIC (SMIC net 1383 €/mois) ce qui est admirable pour ce type de système. Cela ne signifie pas que vous pouvez faire pareil sur 4600 m2 ; d’ailleurs, le gars en question est doctorant en hydrologie, ça aide.

Attention, la plupart des maraichers que j’ai rencontrés ont des revenus qui ne dépassent pas 1000 €/net par mois !

Les adages

Il y a aujourd’hui un vieil adage sur la taille des fermes ou bien même des entreprises : plus c’est gros, mieux ça fonctionne. À titre d’expérience, pour avoir travaillé dans une entreprise de 200 salariés et une autre de 20 salariés, la seconde entreprise était bien plus efficace et résiliente que la première dans le temps. Son succès ne se définit pas par le chiffre d’affaires. Finalement, je trouve, à titre personnel, que c'est dans l'exécution et la qualité du travail que l'on peut constater qu'une entreprise s'en sort mieux que les autres, peu importe la taille.

Et d’ailleurs, on parle souvent du succès d’Apple, dont la capitalisation boursière dépasse l’entendement, mais si demain je devais choisir entre la fermeture d’Apple ou la dernière boulangerie de notre quartier, finalement, qu’est-ce qui serait plus important pour nous ? 🥖

III. Ce n’est pas beau, mais c’est bio !

La ferme de la Terrelabouët

Du Saule, du saule, encore du saule ! Vous compatissez ? Oui, la présence du saule n’est pas un bon signe an agriculture, il faut 1 à 2 ans pour s’en débarrasser.

Surtout, j’ai 2 visions qui s’offrent à moi pour la mise en culture :

  • labourer un bon coup en profondeur - vision des anciens,

  • travailler superficiellement le sol et bâcher - vision des jeunes,

Je n’oppose pas les anciens et les jeunes mais l’agriculture connaît de nombreux sujets de controverses actuellement, et tout le monde n’est pas forcément d’accord. Ce que je sais c’est que la conduite de sol que je vais choisir sera déterminante pour ma petite entreprise. Il y aura sûrement quelques tests de culture sur la parcelle, de la courge à mon avis ! Mais l’année 2025 ne sera qu’expérimentale !

La ferme de la Houle

De la bâche, de la bâche, encore de la bâche ! Le champ est quasiment couvert dans son intégralité par des bâches, ça sera surement mon outil principal en tant que paysan-maraîcher ! J’ai par ailleurs épandu de la matière organique sur les planches. Je donne à manger au sol pour les prochaines cultures.

Voici le plan de culture pour cette année dans mon potager expérimental, je vais avoir surement peu de temps à y consacrer donc j’optimise avec des cultures qui ne nécessitent pas forcément d’entretiens et qui peuvent rester aux champs et d’autres que je pourrais conserver.

Qu’ils s’agissent de mes réussites ou de mes échecs, l’idée est de tout partager. Autant vous dire qu’on va se régaler d’échecs cette année ! Quoi de mieux que de ne pas réussir pour apprendre !

La ferme Benaise

Non, ce n’est pas à moi celle-ci mais c’est ici que je vais faire ma saison en tant qu’ouvrier agricole ! Et oui, pour continuer ma formation, pratique cette fois-ci, rien de mieux que de faire une saison complète ! De nombreuses choses à vous raconter sur cette jeune ferme. Ça me prendra quelques futures longues lettres d’infos !

Robin ✌️

La ferme de la Houle

Par Robin G

À qui s’adresse la ferme de la Houle ?

Aux habitants de la commune de Cancale qui souhaitent manger des légumes de leur commune mais pas que.

Aux curieux, à ceux qui se posent des questions, à ceux qui ont toutes les réponses, à ceux qui rêvent de changement, à ma génération, aux plus jeunes et moins jeunes, aux cols blancs et cols bleus, aux conseillers bancaires comme aux ouvriers du bâtiments, aux futurs agriculteurs, à ma femme, à mon fils qui lira surement ces lignes un jour !

Qui suis-je ?

Robin, la trentaine, ex-banlieusard dans le 78.

Je travaillais par le passé dans le secteur tertiaire, dans le monde des startups en tant que Growth Manager - manager de la croissance - derrière un bureau, devant un écran plus de 8 heures par jour, jusqu’au jour où j’ai tout arrêté.

Maintenant, je suis paysan-maraîcher (j’essaie) sur la terre de mes ancêtres, à Cancale, là où l’histoire de ma famille a commencé et où finira surement la mienne.

C’est l’histoire d’une révolution systémique.